Causse relève le gant
Fondée il y a cent vingt ans à Millau, cette manufacture de gants vient d'entrer dans la galaxie des métiers d'art constituée par Chanel.
Tirer, étavillonner, fendre, raffiler ou appairer. Un vocabulaire, mais surtout des savoir-faire parmi la centaine de gestes concourant à la confection d'un gant, que les artisans de la manufacture Causse connaissent sur le bout des doigts. Depuis 1892, ils façonnent des " bijoux de mains " comme les appelle Manuel Rubio, directeur général et codirecteur artistique avec sa compagne Nadine Carel. Leurs gants ont séduit Chanel - Karl Lagerfeld quitte rarement ses mitaines Causse - qui a racheté la maison en septembre dernier. Posée au cœur de l'Aveyron dans des bâtiments stylisés par l'architecte Jean-Michel Wilmotte, cette institution est, aujourd'hui encore, au centre de la capitale mondiale du gant, garantissant ainsi ce si recherché made in France. " Causse a été créée par trois frères ouvriers gantiers, explique Nadine Carel. Jules et Henri sont rapidement partis s'installer aux États-Unis où le savoir-faire gantier français était très recherché, tandis que Paul Causse, lui, s'est appliqué à faire grandir l'entreprise familiale. " De fil en aiguille, trois générations de Causse vont se succéder, portant la manufacture familiale dans les rayons des grands magasins parisiens et américains. Mais l'âge d'or du gant s'achève avec le vent de liberté qui souffle sur les années 1970 et, malgré l'engouement pour le sportswear et l'avènement de gants ad hoc (pour la conduite, le golf, etc.), l'industrie gantière s'endort doucement. En 1999, une plasticienne et un créateur graphiste visitent la manufacture Causse et en tombent amoureux. En quelques mois, Nadine Carel et Manuel Rubio décident de s'installer à Millau et de dessiner leurs propres gants, logiquement fabriqués par... Causse. Deux ans plus tard, leur collection Carel & Rubio décroche le prix de l'Andam, l'association nationale pour le développement des arts de la mode, (comme Christophe Lemaire, Jérôme Dreyfuss, Viktor & Rolf ou Martin Margiela avant eux). Petit à petit, des liens se tissent avec Olivier, représentant de la quatrième génération du gantier, qui leur ouvre les portes de sa maison. Associé, le trio s'emploie à dépoussiérer le gant à coups de clous, plumes, lacets et couleurs vives sur cuirs d'agneau, pécari, autruche, croco ou python. Avec eux, le gant redevient un objet de mode qu'on porte même l'été, taillé en mitaine poids-plume. Une boutique, également designée par Jean-Michel Wilmotte, s'ouvre à Paris en 2007, à un saut de puce de la place Vendôme. Et les collaborations s'enchaînent : Delfina Delettrez, le brodeur Lesage et, cet hiver, de longs gants parfumés pour L'Artisan Parfumeur.
Au final, 25 000 paires sont fabriquées chaque année par les quarante artisans de la manufacture. Leur prochaine collection affiche des manches cotte de mailles, des brandebourgs, des robots, des têtes de mort et des ongles de métal. " Travailler sur l'esprit de la marque et non sur des thématiques de saison, privilégier la qualité et relever l'intemporel d'un soupçon d'originalité en adéquation avec l'époque, voilà ce qui nous plaît et nous motive " assure Nadine Carel. Si tout ça ne donne pas envie de " faire peau " avec ses gants...